"Penser demain"


Aude Christel Mgba, Commissaire indépendante, CAM/NL, Amsterdam, Novembre 2020.

La première fois que j’ai parlé à Lucas, c’était au travers d’un message par email en décembre 2013. J’avais fait le déplacement de Yaoundé à Douala pour assister au SUD2013 (Salon Urbain de Douala 2013). J’étais, à cette période, une étudiante curieuse, en mal de découvrir plus, sur l’art contemporain et sa manifestation en milieux urbains. Tellement impressionnée par son oeuvre «Le Jardin Sonore » à Bonamouti, et n’ayant pas pu le rencontrer pour lui dire combien j’avais été en admiration devant ce travail, j’ai pris l’initiativede lui faire un mail auquel il a généreusement répondu.

En 2017, j’ai eu la chance de travailler comme assistante-curatrice pour le SUD2017, et d’être témoin de toute la magie conceptuelle, artistique et généreuse qu’est Lucas Grandin. C’était une expérience exceptionnelle que d’avoir à travailler avec lui, à telle enseigne que je l’appelais « Sacré Lucas ». Il y a exactement un an, il m’envoyait la première série de ce voyage pictural. Et moi de lui répondre:“j’adore ces peintures. Elles sont étrangement magnifiques. C’est plein de sujets lourds n’est-ce pas ? Bref tu m’en diras une autre fois[...]”

Il m’a fallu près d’un mois, après qu’il m’ait envoyé la série finale de ce nouveau visage, pour pouvoir mettre noir sur blanc mon ressenti et mon interprétation sur ce travail. Pas par difficulté à le comprendre, mais par volonté de m’y plonger en rentrant vraiment dans ce nouvel écosystème.
Ce nouveau visage, bien que bidimensionnel, demeure très sonore et sculptural. Ce monde pictural riche en formes, en volumes, en textures et en couleurs, que je qualifierais d’étrangement magnifique, laisse transparaître le regard actuel que l’artiste pose sur le monde.

Lucas Grandin nous raconte ses questionnements, ses peurs, ses angoisses. Il nous livre le monde tel qu’il le voit, en dévoilant sa face cachée que seuls les esprits ouverts, les âmes sensibles en alerte comme lui, voient. C’est l’image du monde, dont l’identité présente a été nourrie par des voyages hors de l’Europe, à la découverte d’autres contrées où il a fait des rencontres de personnes, de langages, d’univers, qui ont ouvert son champ des possibles.

Lucas nous décrit le monde aussi cru qu’il est, aussi fleuri que monstrueux, aussi verdâtre que grisâtre et toxique. Il interroge les fruits de milliers d’années d’anthropocentrisme et de monoculture, qui ont reposé sur les fantasmes d’une certaine modernité et de ce que cette dernière a entraîné au fil des années.De comment la poursuite effrénée de ce monde a contribué à l’effacement et à « l’invisibilisation » des différences et des autres mondes.

Lucas nous présente à nu nos prisons actuelles: les régimes politiques dictatoriaux, les institutions opprimantes qui volent les libertés individuelles telles que l’État, les religions, la police et l’argent, pour ne pas dire le capitalisme ou l’obsession d’une société assoiffée de produire, férue par les démons de la consommation et toujours prête à tout dévorer à pleines dents. Dans ce monde actuel, la morbidité est quotidienne : on la vit, on la voit, on la sent.

Lucas Grandin nous appelle à sortir de nos différentes zones de confort pour aller vers d’autres mondes qui nous accompagnent et font chemin avec nous. Mondes que l’on détruit malheureusement sans penser à demain. Cette série est une invitation à la prise de conscience de l’importance d’un réel communautaire qui implique une urgence à la connectivité avec le monde végétal, animal, terrestre, aquatique. Nous sommes tous des corps d’eau. Dans ces compositions où le monde végétal et animal font corps et âmes avec des foules à la fois humaines et urbaines, extraterrestres, il y a aussi la célébration du vivre ensemble à travers fêtes et orgies, des moments d’une photographie de groupe. Il y a ici une invocation de l’importance de l’amitié, de la famille, une invitation à sortir de nos cocons individualistes et souvent oppressifs pour connaître, s’intéresser, sortir des abîmes dans lesquels nous sommes engloutis pour s’ouvrirà l’autre et regarder de l’autre côté vers le Sud. Dans cet univers gluant, plumeux, poilu, il faut secréer des espaces de refuge, des oisifs de paix, comme la grenouille verte à côté de la rivière, reposant sur les prairies dans son tapis vert douillet.
Des instants de liberté pour penserà demain.


 
 



"Thinking about tomorrow"

The first time I spoke to Lucas was through an email I sent in December 2013. I had traveled from Yaoundé to Douala to attend SUD2013 (Salon Urbain de Douala 2013). At that time, I was a curious student, eager to get to know more about contemporary art and its relations to urban settings. I was so impressed by his work «Le Jardin Sonore» in Bonamouti, but I had not got the chance to meet him to tell him how admirative I was of his work. I took the initiative to send him an email to which he generously replied.

In 2017, I was lucky enough to work as an assistant curator for SUD2017, and to witness all the conceptual, artistic and generous magic that  Lucas Grandin bears. It was an amazing experience to have to work with him, so much so that I ended up called him «Sacré Lucas».

Exactly a year ago, he sent me the first series of this pictorial journey. To which I replied : “I love these paintings. They are strangely beautiful and yet full of heavy topics, aren’t they ? Anyway you’ll tell me another time [...]”

It took me almost a month, after he sent me the final series of this new facet of himself, to be able to clearly express my feelings and interpretation of this work. This was not due to a difficulty in understanding it, but I deeply felt I had to fully immerse myself in this new ecosystem. This new face of him, although two-dimensional, remains very sonorous and sculptural.


This painterish world, rich in shapes, volumes, textures and colors, which I would describe as strangely magnificent, reveals the currentvisions that the artist holds on the world. Lucas Grandin tells us about his questionings, his fears and his anxieties. He delivers us a world as he sees it,  unveiling its hidden side that only open minds and sensitive, alert souls like him, may see. His image of the world, whose present identity has been fed by many trips outside Europe. Out to other countries , he has met new people, new languages and universes, which opened up his field of possibilities.


Lucas paints a world as raw as it is : as flowery as it is monstrous, as greenish as greyish and toxic can be. He questions the fruits of thousands of years of anthropocentrism and monoculture. These notions which were based on the fantasies of a certain modernity and what it has brought about, over the years. He reflects on how the frantic pursuit of this world has contributed to the invisibility of differences and other worlds.

Lucas bares up our current prisons : dictatorial political regimes, oppressive institutions that steal individual freedoms such as state, religions, police and money. Not to mention capitalism or a society obsessed with production, alured by the demons of consumption and always ready to devour everything to the fullest. 


In our daily life, morbidity is omnipresent :  we experience it, we see it, we feel it. Lucas Grandin urges us to get out of our comfort zones in order to discover other worlds, which will stay with us.  Worlds that are unfortunately being destroyed without thinking about a tomorrow. This series of paintings is an invitation to become aware of how important our sense of belonging is. The latter implies an urgent need for  connexion with plants, animals, the earth and aquatic world. We are all bodies made of water.


In these compositions, the vegetal and animal worlds form body and soul with crowds, whether human, urban or extraterrestrial ones.  The the celebration of living together is also vivid, through parties and orgies or a group photography moment. We are invited to come out of our friendship, family  or individualistic cocoons so that we may  open up to the other and look across to the south. In this sticky, feathery, hairy universe, we must create refuge spaces and peace oasis. Like the green frog next to the river, resting on the meadows, on its cozy green carpet.  We must create moments of freedom to think about tomorrow.